vendredi 19 avril 2024

FREAKS de Tod Browning (1932) par Luc B.

 

C’est le genre de film qu’on n’oublie pas une fois l’avoir vu. Un film associé pour la postérité à son réalisateur Tod Browning (1880 - 1962) alors qu’il en avait réalisé une cinquantaine avant celui-ci, et dont il aura du mal à se remettre. FREAKS doit aussi beaucoup à son producteur Irvin Thalberg, un homme de goût, de poigne, prodige disparu à l'âge de 36 ans, qui a toujours soutenu le projet. On raconte que Thalberg a censuré le montage original, passant de 90 à 65 minutes après une projection-test désastreuse. Désastreuse, elle l'a été ! Mais les notes de production, le scénario et le découpage confirment que si quelques plans ont été coupés ici ou là, si un épilogue heureux a été ajouté (sans pour autant édulcorer l’intrigue), le film est conforme aux vœux de son réalisateur.

[Tod Browning, entouré de ses freaks] Pour comprendre comment un tel film a vu le jour, il faut remonter à la fin des années 20. Euh... pas celles où Macron était déjà président, les autres, un siècle plus tôt. Et l’émergence d’un genre qui remporte un franc succès auprès du public qui aime à se faire peur : le film d’épouvante, trusté par le studio Universal. Tod Browning en est un des spécialistes, il réalise une poignée de films avec son acteur fétiche Lon Chaney, surnommé l’homme aux mille visages, pour ses prouesses de transformations physiques. C'est lui qui signe le grand succès DRACULA (1930, avec Bela Lugosi), et l’année suivante, le studio produit FRANKENSTEIN (James Whale, 1931).

Irvin Thalberg, qui bosse à la MGM, ne veut pas laisser le filon du film d’épouvante à la concurrence. Il demande au scénariste Willis Golbeck de lui dénicher un truc horrible, et débauche Browning pour le réaliser. Tod Browning était le réalisateur tout désigné pour ce projet. Il avait débuté sa carrière artistique dans un cirque, les foires, avait fait l’acrobate, avant de devenir comédien chez Griffith et passer à la réalisation, où il a développé un univers sombre, macabre, fantastique, nourri de personnages à la marge, des éclopés, des monstres, de rebus de la société. Charmant…

FREAKS sera un film de monstres, à ceci près que les freaks ne seront pas des acteurs maquillés, mais de réelles personnes handicapées, mutilées, difformes, comme Browning en avait côtoyées. Ce projet atypique et casse gueule (car parmi les comédiens, certains sont déficients mentaux) ne tient que par la pugnacité de son producteur, contre l’avis même du studio, horrifié par le projet.

D'ailleurs, à la MGM, les acteurs-monstres seront parqués, isolés, interdits de cantine, ne seront pas autorisés à circuler dans l'enceinte du studio, à l’exception du couple de nains Harry et Daisy Earles déjà célèbres à l’époque. Ils étaient frère et sœur dans la vie, et joueront plus tard dans LE MAGICIEN D’OZ. Harry Earles avait déjà tourné avec Browning dans LE CLUB DES TROIS (1930) et lui avait parlé de la nouvelle « Spurs » à l’origine du scénario de FREAKS.

[Phroso et les "pins de sucre"] Quand on parle de monstres, de quoi parle-t-on ? Des siamoises Daisy et Violet, de l’homme tronc, du cul de jatte, de l'hermaphrodite, de la femme à barbe, des acrocéphales (les cranes en « pin de sucre »), de malades de progéria, vieillissement précoce. 

Ils sont les vedettes d’un cirque, avec d’autres artistes, dont la belle trapéziste Cleopatra, qui par jeu séduit Hans le nain. Quand elle apprend que Hans est riche, elle lui met définitivement le grappin dessus, et fomente avec son amant Hercule un plan pour s’emparer de sa fortune …

Le film commence par une scène dans une foire, où un bonimenteur harangue le public, désignant dans un enclos une créature touchée par la disgrâce. Hurlement du public, horrifié. La créature reste hors-champ à l’écran, on ne la verra qu’à la fin, après un long flash-back. Cette construction narrative est une idée du producteur Irvin Thalberg. Prétendre qu’il ait mutilé le film est donc une ineptie, puisque l’effet horrifique est décuplé.

On comprend bien l’enjeu du film. Montrer que les monstres ne sont pas ceux que l’on croit. Dans la première partie, on observe la vie du cirque, les coulisses, le quotidien des artistes, avec des scènes drôles ou touchantes qui s’opposent au cynisme et à la veulerie de Cleopatra et Hercule

Parmi ces moments de grâce, la naissance du bébé de la femme à barbe et de l’homme squelette, avec tous les freaks en joie, et cette réflexion : « qu’elle est mignonne avec sa petite barbe ! ». Il y a aussi le flirt entre Vajda et la siamoise Daisy. Quand il embrasse sa promise, Violet (la deuxième sœur) ressent aussi l’émotion du baiser. Vajda ne supporte pas sa belle soeur, mais devra faire avec, jusqu’à ce qu’elle trouve un fiancé. Le ménage à trois devient ménage à quatre. Et puis cette scène magnifique où Mme Tetrallini protège ses enfants (comme elle les appelle) des foudres d’un garde-chasse.

Mais FREAKS n’est pas aussi simpliste. Il est même très ambigu. D’où le malaise. Car tout bienveillant que soit son regard sur les difformités de ses acteurs, Tod Browning les utilise aussi pour effrayer les spectateurs. La scène la plus mémorable est sans doute celle de l’homme tronc, emmailloté dans une toile de jute, qui gratte une allumette pour enflammer sa clope. Le spectateur est placé face à l’anormalité, donc en position du voyeur. Et si on est d’abord heurté puis ému par ces personnages, la fin du film les montrera sous un tout autre jour.

Avant cela il y a l’extraordinaire scène du dîner donnée en l’honneur de Hans et Cleopatra, inaugurée par un splendide travelling avant au-dessus des convives. C’est la bascule du film. On festoie, on trinque, on avale des sabres et on crache du feu. Cleopatra semble acceptée par la troupe, mais excitée par l’enjeu du mariage (et de l'héritage convoité) ou l’abus de boisson, le naturel revient au galop. Elle laisse éclater sa haine et son cynisme. Une scène d’une violence folle qui annonce (et justifie ?) l’épilogue tragique.

On ressent au plus profond de soi la tristesse de Freida la naine, qui avait compris avant les autres le coup fourré. Browning filme l’extraordinaire solidarité de ses freaks, qui forment un bloc protecteur autour de Hans. Le film culmine avec l’épisode nocturne, sous l’orage, effrayant, à la photographie ultra contrastée, et cette image de l’homme tronc poignard entre les lèvres. 

Browning retrouve ici les marqueurs du film d’épouvante. Si les freaks effraient d'abord par leur malheureuse infirmité, au delà de la tendresse évidente que leur porte le réalisateur, ils effraient ensuite par la cruauté et le sadisme dont on ne les pensait pas capables.

L’intelligence de Browning et de son producteur Thalberg est de laisser le spectateur imaginer le sort de Cleopatra et Hercule. Comment ont-ils été punis ? Hasard d’un accident (l’arbre foudroyé) ou vindicte décuplée par la trahison ? 

Le film pâtit tout de même par son interprétation, notamment celle d’Olga Baclanova en Cleopatra, toute en mimiques théâtralement surjouées venues du muet, à l’opposé de la naturelle (et sacrément gironde) Leila Hyams, en Vénus. Chez les mecs, on préférera le jeu de Wallace Ford (le clown Phroso) à celui limité et caricatural d’Henry Victor en Hercule. A croire que Tod Browning a choisi les plus mauvais pour jouer les méchants !

A sa sortie, FREAKS a fait un bide retentissant. Pire encore, il a été souvent interdit de projection, il ne sort qu’en 1963 en Angleterre. Browning qui bibinait déjà sec, plonge encore plus profond dans la bouteille. Il ne réalisera que quatre films ensuite. Son film monstre est une réalisation unique, inédite, dérangeante, une fable sublime et cruelle dont on ne se remet pas facilement.

 

Noir et blanc  -  1h05  -  Format 1:1.37 

 
Une bande annonce restaurée, et celle d'origine (qui en montre un peu trop ?) :

jeudi 18 avril 2024

MILT JACKSON : le swing Bop, par Benjamin

Une église est un endroit où certains trouvent ce qu’ils cherchent sans savoir le définir. La croyance a besoin d’une bonne dose d’insouciance, trop raisonner c’est déjà sortir de la cage d’or du dogme. Le mysticisme est un anti-rationalisme, une façon de nier la réalité ou une envie de la transcender. L’homme est un être irrationnel, de cette irrationalité naquit ses pires crimes et ses plus grandes œuvres. Parce qu’il fallut bien trouver une incarnation à ce besoin d’imaginer un monde plus beau, plus harmonieux, plus vivant, dieu naquit de la harangue dévote des premiers prêcheurs.

La musique est ainsi devenue sa tendre épouse, tant il est vrai que l’on en joua surtout pour honorer les dieux ennemis des diverses religions. Comme nombre de musiciens avant et après lui, Milt Jackson découvrit d’abord la musique dans les habits austères de la foi catholique. Fasciné par la douceur paisible mais puissante de l’orgue, il fit du piano et du vibraphone ses instruments de prédilection. Objet donnant de la douceur aux tempos les plus marqués, le vibraphone était une belle version miniature des imposantes âmes mélodieuses des églises. Encouragé par des parents compréhensifs, Milt Jackson suivit une solide formation de musicien, avant de rejoindre ses premiers orchestres locaux. Les grands orchestres étaient alors l’école de la discipline, une sorte de service militaire du swing.

Sorti de brillantes études, Milt Jackson aurait pu passer sa carrière à naviguer de groupe en groupe, devenir le mercenaire adoré des Big band. Mais il était à New York, ville dont Scorsese célébra plus tard la vitalité en compagnie d’un De Niro en pleine ascension. New York, c’était la ville de la 52e rue et du Milton, l’épicentre d’un séisme qui ne tarderait pas à troubler la tranquillité des grands orchestres. Le club où s’écrivit l’histoire portait d’ailleurs presque le même nom que ce vibraphoniste en pleine ascension, comme si le destin voulut lui signifier où était sa place. Le destin en question se nomma Dizzy Gillespie, qui tomba sous le charme de son jeu doux et sautillant, tendre et guilleret. Le trompettiste lui présenta alors celui qu’il ne quitte plus, le drôle d’oiseau Charlie Parker. Milt entre alors dans le cercle fermé de la 52e rue, où la controversée arithmétique monkienne disputa le titre de père du bop contre l’hyperactive virtuosité parkerienne. Il y eut aussi le poétique Bud Powell, ange aux ailes brûlées qui construisit son jeu en reproduisant les prodigieux solos parkeriens.

Puis vous aviez les visionnaires Charles Mingus et Miles Davis, le premier se révélant aussi brutalement puissant que le second fut discret et gracieux. Le bop était l’accomplissement d’une libération du jazz timidement esquissée par Louis Armstrong, qui fut un de ses premiers solistes. Portés par le culte de l’improvisation féconde, les boppers créèrent un monde musical pleins de nuances et de contradictions, d’harmonies relaxantes et de dissonances vivifiantes.

Mis en confiance par ses faits d’armes au sein de l’orchestre de GillespieMilt Jackson se mit au service d’une arrière garde en quête de renouveau, comme les orchestres de Coleman Hawkins et Illinois Jacquet, avant de commencer à voler de ses propres ailes. Un bopper ne voguant jamais réellement seul, son quartet reçut la visite d’invités aussi prestigieux que Thelonious Monk et Horace Silver, mais il y eut surtout la grande époque du Modern Jazz Quartet.

En conciliant la rigueur des grands orchestres avec la liberté des boppers, cette formation fut la première expression de la passion de Milt Jackson pour la beauté sonore. Voyant au-delà des mouvements passés et présents, le Modern Jazz Quartet remit le talent individuel au service du swing collectif. Ce communisme musical n’empêcha pourtant pas la formation de muter au rythme de ses changements d’effectifs, prouvant ainsi qu’elle avait trouvé un équilibre unique entre la discipline vitale pour les grands orchestres et une liberté laissant respirer les grands noms qui firent son histoire.

L’art de Milt Jackson ne fut pourtant jamais aussi fascinant que dans l’intimité de ses sessions organisées avec des pointures tels qu’Art Blakey, Oscar Petiford, Horace Silver ou Kenny Clarke, pour ne citer que les plus fameux. Là, dans les grands espaces de ces mélodies épurées, Milt Jackson atteignait des sommets de douceur bluesy et cotonneuses secoués par des rythmiques aussi complexes que limpides. Si le génie est plus celui qui réalise des choses complexes avec simplicité que l’inverse, alors Milt Jackson est un des plus grands génies que le jazz ait connu.

Dans ses compositions, les virages mélodiques sont aussi radicaux que limpides, cassures irrégulières d’un escalier sonore à l’architecture aussi harmonieuse qu’unique. Puis il y a ces ballades d’une douceur foisonnante, majestueux mariage de la douceur mystique du blues et de la richesse du bop. Quand les plus grands vinrent lui demander où il avait trouvé le secret de ce parfait accord entre la folie improvisatrice et la sagesse mélodique, Milt Jackson répondit toujours : « dans les églises ». Preuve que, en Amérique plus qu’ailleurs, la grande musique reste un éloge de ce que l’on nomme dieu.

 

On écoute un blues, et une reprise de Monk :


mercredi 17 avril 2024

MALTED MILK " 1975 " (2023), by Bruno



      

 -    Pendant ce temps, au pays des fromages-qui-puent, une poignée de groupes du terroir sortaient des disques dans l'indifférence totale de nos médias bien plus préoccupés à interpréter (à notre place) ce qu'ont pu dire machin, chose ou trucmuche. Jeter l'opprobre sur les uns et limite idolâtrer d'autres carriéristes, comme s'ils pouvaient fournir un remède à nos maux. Il y a dans la vie déjà suffisamment d'obstacles, de choses moches, immondes, de déceptions et de désillusions, pourquoi donc s'évertuer à en créer incessamment d'autres ? Tant d'informations de malheurs, d'absurdités, de folie et d'horreurs, incitant à se recroqueville dans notre coquille, à s'isoler du monde extérieur. Certes, actuellement, ça n'est pas très rose. Ou plutôt vert... Ouais pourquoi "rose" ??  Parce qu'à moins de s'appeler Barbie ou Ken, végéter et vouloir vivre dans le rose, ça ne semble pas très sain. Alors que le "vert", c'est la vie. Et dire qu'il y a des décérébrés qui font pression pour qu'on éradique les arbres, sous prétextes que ça leur "cacherait" la vue. Etonnant ça, non ? "Leur vue", à eux. Et puis la vue sur quoi ? Sur les voisins ? Le béton ? La route ? Mais crénom, gros [ censuré ] de [ double censuré ], les arbres c'est la vie. C'est fondamental ! Bon... comme d'habitude, on digresse..

- "Mais de quoi il cause encore ???" - "Kèssekidi ??"

- "Hé, Pat ! On était bien d'accord ? Plus d'apéro au bureau, et plus de bouteilles de secours qui traînent à droite et à gauche. Hein ? Oui, même dans les kits de survie en cas d'épidémie de zombies ou d'attaque extra-terrestre

-  Ouais, bon, sinon, ce serait bien que "nos" médias nous présentent aussi les sorties musicales de nos artistes locaux. Même si ce n'est pas du désormais sacro-saint rappeharènebihélectro, et même si on ne chante pas dans la langue de Michel Audiard. Ouais, parfaitement, parce qu'on a des gars comme Arnaud Fradin et ses potos, qui depuis vingt ans réalisent de très beaux disques de Blues classieux. On est en droit de s'étonner que son dernier disque sorte dans une relative - et absurde - discrétion. On va nous parler avec enthousiasme d'une bimbo d'outre-Atlantique - ou d'outre-Manche - incapable de chanter sans autotune, mais le p'tit dernier des Nantais, peau d'balle ! Et pourtant, c'est d'la bombe (comme dirait le Gégé)


     Toutefois, les premières minutes de la chanson éponyme (qui ouvre le bal), donnent quelques sueurs froides. On assiste médusé à un mixte de Donna Summer et de Barry White (si, si), avec une pointe de Robert Palmer.  Au point d'effleurer le disco 😲 Aïe ! Ouïlle ! C'est surtout qu'on est surpris, pris à froid, sans sommations. Arnaud se la joue crooner de dancefloor, faisant son numéro de charme. Et puis ces "ah" soufflés, expirés par des corps pris sous l'étreinte du désir : ça fout les j'tons. Avec le temps, ça finit par passer crème, même si on cherche en vain le Blues et/ou la Soul d'antan, tels que délivrés avec classe depuis bien des années par le groupe Nantais. On les retrouve (la Soul et le Blues) sur le titre suivant, "A Little Bit of Soul". Cependant, certains mouvements affichent une couleur manifestement typée Funk, ou plus précisément P-Funk. Soit celui de George Clinton. Funk encore avec "I'm Possible", mais cette fois-ci, ce serait celui formé par les chaudes nuits festives de New-Orleans. 

     La raison de cette apparente immersion dans le funk est due en partie à l'implication d'un certain Marco Cinelli. Une collaboration qui débute avec le Ep "Riding High" de 2021. La présence de ce dernier peut faire craindre un polissage et une "pastellisation" de Malted Milk. C'est d'ailleurs un peu le cas avec cet Ep de cinq titres. Toutefois, depuis quelques années, depuis son installation à Londres, le travail de l'Italien au sein de The Cinelli Brothers, bien loin de ses essais solos, se recentre sur le Blues. Et c'est d'un très bon niveau, comme en témoigne le dernier opus, "Almost Exactly...".

   D'autres pièces de ce " 1975 " s'engouffrent dans une forme de Soul-blues des plus exquises - même si quelques paroles laissent transparaître une certaine amertume. Notamment avec "Love For Yourself", qui pose un regard noir sur "nos" dirigeants. Toutefois, la désillusion et le mécontentement ne sont pas exprimés dans un débit haineux, voire belliqueux, mais avec une certaine poésie, qui, de prime abord, ferait plutôt croire à la plainte d'un amoureux délaissé, mais résigné. Le ton évoque la soul des Staple Singers à l'époque de l'excellent "Be Altitude : Respect Yourself" (de 1972)". Ou encore avec "Better Now", qui conte la blessure d'une rupture amoureuse. Toutefois, plutôt que de se morfondre dans un profond spleen, Arnaud la présente comme une épreuve nécessaire, permettant d'évoluer, de grandir. Il en fait alors une éclatante pépite de Soul insouciante et guillerette. Pour sûr, dans un univers parallèle, (et plus juste ?) ce petit joyau est sur toutes les ondes et concours pour être intronisé au cénacle des classiques immortels. Inusable.

   Pour "King Without a Crown" (composition de Hugo Deviers et Maxime Genouel), la Soul se fait plus légère, sobre et fragile, presque éthérée, semblant sur la fin se déliter comme un nuage sous l'effet d'un vent coriace. C'est alors que la basse d'Igor Pichon, se fait grave, limite fuzzy, invitant à sa suite l'orchestre. L'atmosphère se transforme, lors d'un fugace instant, en orage d'été, lourd et délicieusement menaçant. Contraste magnifique. Igor Pichon, solide lieutenant depuis 2012, également guitariste et torpillé ici dans la direction musicale, fait aussi partie du bien nommé Arnaud Fradin & His Roots Combo.  


 Pour "Do What You Must", Arnaud laisse sa place au micro, braquant ainsi le projecteur sur Laurène Pierre Magnani. Petit bout de femme aux multiples casquettes - chanteuse, batteuse dans un groupe punk, artiste solo, choriste, bassiste -, actuellement surtout connue dans la région nantaise, elle s'empare de ce morceau, lui donne une âme. La consistance de son chant lui procure une couleur afro-américaine. Sans pathos, sans pénibles et redondants effets vocaux, elle plonge le groupe dans les nuits torrides d'Harlem, ou d'un Beale Street d'antan. Mais pourquoi donc n'avoir pas étendu cette belle collaboration à une paire de pièces supplémentaires ?

   Il ne faudrait pas occulter la valeur ajoutée du duo de choristes. Depuis 2012, soit depuis l'album "Get Some", Julie Le Baccon et Julie Dumoulin consolident la musique de Malted Milk, et lui offrent cette coloration, cette chaleur Soul qui lui va si bien - encore plus prononcée sur ce disque. Ces dames, se produisent également séparément, en solo, ou ensemble, en tant que choristes, notamment pour Lowland Brothers. Tout comme, évidemment, la section de cuivres composée de Vincent Aubert au trombone et de Pierre-Marie Humeau à la trompette. Tous deux fidèles au collectif depuis la tournée de 2013 - dont une des dates, celle honorée à la maison, à Nantes, a été l'objet d'un enregistrement live : "On Stage Tonight". Avec quelques invités surprises.

   The last but not least, "Set Me Free" clôt le chapitre par une quasi apothéose de Soul-blues teinté de Rock, avec chœurs enivrant et solide section de cuivres. Lorsque le silence retombe, on se surprend à scander inlassablement "I'm fool to hang down your tree. Set me free, set me free ! All the mean things come to me. set me free, set me free. Me, you and the devil makes three. Set me free, set me free ! ". Incrustés, indélogeables de la cabessa, ces paroles reviennent comme un mantra, et on chante malgré nous dans la rue, au boulot, en guimbarde, attirant sur soi le regard interloqué ou complaisant, condescendant des autres. Les autres, ceux qui n'ont pas eu la chance d'avoir entre les deux esgourdes cet album pulvérisant les idées noires, les nombreux soucis et tracas de la vie urbaine. Idéal dans les embouteillages, où le temps perdu semble se dissoudre sous les saines vibrations de " 1975 ". 

     L'album est court, trop court avec seulement trente-deux minutes pour seulement huit morceaux assez concis ; les soli - de guitares, de claviers ou autres -, sont réduits à leur strict minimum. Bien généralement, ça va à l'essentiel, et ce n'est pas plus mal. La cohésion semble ainsi accrue. Du coup, une fois enfourné dans un mange-cd, l'album tourne en continu, en boucle. La collaboration "Malted Milk - Marco Cinelli" a porté ses fruits : indéniablement, c'est un bel album. Et on en redemande. Un disque qui donne du baume au cœur.



🎶🌞🍼
Autre article liée (lien) : 👉 " One Stage Tonight " (2014)

mardi 16 avril 2024

THE BEATLES - ”LET IT BE“ (1970) par - Pat Slade



Le chant du cygne des Beatles, la dernière ligne droite, le dernier album, une fin qui ne sera pas le néant.



QU’IL EN SOIT AINSI



Les quatre de Liverpool tirent leurs dernières cartouches avec un album qui, à l’oreille, ne ressent ni la joie, ni la plénitude. Il est considéré comme le dernier album par sa date de parution en mai 1970 soit huit mois après ”Abbey Road“ mais les titres présents sur l’album ont été enregistrés plus d'un an avant leur parution, l'essentiel étant mis en boîte en janvier 1969 alors que  eux d’”Abbey Road“ seront enregistrés entre février et août de la même année.

Lemmy et Ringo

La fin des Beatles, le plus grand groupe de tous les temps et ce n’est pas le légendaire Lemmy Kilmister bassiste de Motörhead qui me contredira quand il disait: ”Les Rolling Stones étaient des fils à papa, ils étaient tous des étudiants de la banlieue de Londres. ils n’ont jamais été aussi bons que les Beatles, que ce soit en termes d’originalité, de composition ou de performance. Les Stones étaient toujours nuls sur scène, alors que les Beatles étaient fantastiques. Les Beatles étaient des durs.“ Quoi dire d’autre après une légende tel que lui ? Enfin tout ça, ça se discute, je ne veux pas me faire des ennemis voire lynché… car de nos jours, avoir une opinion trop tranchée et c'est la… guillotine  😳.

Let it Be“ aurait du paraitre sous le titre de ”Get Back“, ils enregistreront les douze titres dans les conditions du live en répétition pour un hypothétique concert, le tout doit déboucher sur un film, les trois semaines consacrées aux répétitions et à l'enregistrement des chansons se déroulent sous l’œil des caméras et seront ponctuées par le fameux concert sur le  toit de l’immeuble du 3 Saville Row où, en 1968-69, se trouvaient les bureaux de la maison de disques Apple Corps et un studio ou ils enregistreront l’album.

avec Billy Preston et Yoko
Suite à l’enregistrement de l’album blanc, Lennon, McCartney et Harrison composeront un grand nombre de chansons, 12 finiront dans l’album et les autres seront retravaillées de février à l'été 1969 pour ”Abbey Road, ou encore apparaîtront sur leurs albums respectifs après la séparation du groupe. ”Let it Be“ est avec ”Hard Day’s Night“ les deux albums où Ringo Star ne chante pas et c’est aussi celui ou un musicien invité (par Georges Harrison) sera présent sur sept titres, ce sera Billy Preston un vieil ami du groupe depuis Hambourg en 1962, à l'orgue et au piano électrique. Ce dernier album officiel des Beatles battra tous les records de précommande avant sa parution. Le film du même nom sortira en 1970. Ce documentaire montrant les répétitions et les enregistrements de janvier 1969 est abordé sous l'angle d'un groupe en train de se disloquer, il fera l'objet, en 2021, d'un nouveau montage plus positif tiré de près de 60 heures d'image inédites.  

Les Beatles traversent une période difficile et cela depuis l’enregistrement de l’album blanc. Provoc', Lennon avait installé sa nouvelle compagne Yoko Ono à coté de lui dans les studios, alors que aucune épouse ou compagne n’était admise durant les enregistrements ou les répétitions... Avec les problèmes de l’enregistrement du double album blanc où le groupe se disloque complètement, les Beatles utilisent souvent séparément les trois studios d'Abbey Road pour enregistrer leurs chansons dans une ambiance particulièrement pesante, le groupe jouant rarement au grand complet, certains titres seront même enregistrés par un seul Beatles. Les autres membres du groupe peinent à s'entendre avec Yoko Ono et leurs rapports sont très tendus, d'autant plus qu'elle agace aussi l'équipe des studios en émettant des critiques.

McCartney va chercher à recoller les morceaux en jouant du rock’n’roll et en mettant de coté toutes les techniques de studio utilisées pebdant les trois dernière années. Le projet plaira à Lennon. Durant les sessions, les disputes sont courantes et s'engagent souvent sur des sujets futiles, Harrison quittera le groupe pendant cinq jours ce qui n’apparaît pas dans le film. Selon la rumeur, lui et Lennon en seraient venus aux mains mais ceci sera démenti dans une scène du documentaire ”Get Back“. Ne le voyant pas revenir, les autres ne savent plus quoi faire, Lennon envisage de faire venir Eric Clapton en remplacement. Le groupe se réunira chez Ringo pour débloquer la situation mais la réunion tourne court quand Harrison la quitte, exaspéré par Yoko qui répond à la place de Lennon. Harrison reviendra au bout d’une dizaine de jours après avoir trouvé un compromis.
La présence de Billy Preston apporte beaucoup au groupe, humainement et musicalement. Il atténue en effet les tensions entre les Beatles, George Harrison expliquera par la suite que la présence d'un musicien extérieur pousse toujours les Beatles à bien se conduire entre eux.     

Two of Us“, une chanson de Paul pour Linda jouée à la guitare acoustique, Paul la reprendra plus tard dans ses concerts. ”Dig a Pony“, du Lennon pur jus, les paroles n'ont pas de sens mais cela est volontaire : John Lennon aimait juste mettre des mots çà et là, ”Across a Universe“, cette chanson fait partie des meilleures de Lennon, même s'il ne s'est jamais montré satisfait du résultat musical, elle est fortement influencée par la période durant laquelle les membres du groupe expérimentèrent la méditation transcendantale. ”I Me Mine“, Georges Harrison dans ses œuvres. La chanson traite du problème de l'égocentrisme. Dans le film, on peut voir John et Yoko danser pendant que les autres membres du groupe jouent la chanson répétée durant les sessions de ”Get Back“ en janvier 69, elle ne sera mise en boite que l’année suivante après le départ définitif de Lennon, elle marque la toute dernière session d'enregistrement des Beatles. ”Dig It“ Un court extrait d’un ”bœuf“ qui durait quine minutes. 

Let it Be“ La chanson la plus connu des Fab Four, elle fait référence à un rêve que Paul aurait fait de sa mère la ”Mother Mary“ à laquelle font référence les paroles, sa mère qui est morte d'un cancer lorsqu'il avait 14 ans. Let it be n'est pas une expression anglaise courante ; elle pourrait signifier que cela soit ou qu'il en soit ainsi. Le solo de Billy Preston à l’orgue et celui de Georges à la guitare enjolivent le morceau.  Il existe deux versions avec des solos de guitare différents. ”Let it Be“ sera le dernier single du groupe produit par Georges Martin, elle a été classée à la vingtième place sur la liste des 500 plus grandes chansons de tout les temps par le magazine Rolling Stone. ”Maggie May“ une chanson traditionnelle de Liverpool que les Beatles interprétaient alors qu’ils s’appelaient encore les Quarrymen.I’ve Got a Feelingest une chanson issue de deux compositions de Paul et John, la première, qui porte le titre de la chanson finale, est écrite par McCartney sur un ton optimiste, à propos de ses sentiments pour Linda avec qui, il va se marier, et la seconde ”Everybody Had a Hard Yearׅ“ de John, moins développée que dans sa version finale. Elle est jouée à la guitare acoustique et avait été filmée dans le jardin de sa maison en décembre 1968, en compagnie de Yoko.

One After 909“,  une des premières compositions du tandem Lennon/McCartney encore adolescent, encore de l’époque des Quarrymen et qu’ils enregistreront en mars 1963, pendant les sessions de ”From Me To You“ mais des erreurs de jeu et le résultat peu convaincant font qu'ils l'abandonnent. ”The Long and Winding Road“, Une jolie ballade lente que Paul compose en se souvenant avec nostalgie des moments heureux des Beatles. Insatisfait du résultat général, le groupe décide de se concentrer sur l'enregistrement d'une dernièrepour l'album ”Abbey Road“, et les bandes de ce qui deviendra l'album ”Let it Be resteront au placard. Un an plus tard, alors que John Lennon a quitté la formation, le nouveau manager des Beatles confie les bandes à Phil Spector dont celle de ”The Long and Winding Road“ et il y ajoutera un orchestre de trente-huit musiciens, comprenant des chœurs féminins, des cordes  et des cuivres, provoquant la colère de McCartney, qui n'a pas été consulté. Malgré ses protestations, le morceau sortira sous cette forme. ”For You Blues“ Un morceau de Georges pour sa femme Patty Boyd qui le quittera pour son meilleur ami Éric Clapton. Sur ce titre c’est John qui joue de la guitare lap steel.                                                                                                                           

”Get Back“, encore un titre de Paul qui improvise sur sa basse höfner, face à lui Ringo et Georges qui fredonnent une idée de chanson, Harrison commence une rythmique à la guitare, Ringo enchaine derrière et Paul chante ”Get Back ! Get Back ! Get Back to where you once belonged !“. John  arrivera en retard, prendra sa guitare et se joindra à eux. Get Back était censé parler au départ de la situation des pakistanais au Royaume-Uni, Le but était de se moquer des gens qui considéraient que les immigrés volaient le travail des Britanniques, et qu'ils devaient de fait rentrer chez eux ! D'où le titre de la chanson. Pourtant, l'idée n'est finalement pas gardée, car le message pouvait paraître ambigu et donner lieu à des interprétations erronées. Après diverse tentative pour trouver des paroles qui iraient sur un rythme si rapide n’est pas facile, cela conduisit à deux versions de la chanson. Finalement, seul le ”Get back to where you once belonged“ du texte initial est conservé pour la chanson finale.

La première version de l’album parodiait le concept de la pochette de ”Please, please me“, leur premier album. Six ans plus tard, en mai 1969, le groupe prend la même pose dans la cage d'escaliers des bureaux d'EMI. Les deux clichés seront réutilisés pour les compilations ”The Beatles 1962-1966“ et ”The Beatles 1967-1970“, tous les deux parus en 1973. Sortie sous la forme d'un coffret, qui n'est aujourd'hui plus disponible. À l'intérieur se trouvait le disque vinyle et un livre de  164 pages.

Let it Be“, le chant du cygne, un chant d’adieu avec le son et l’image. Même si il n’existe plus depuis 54 ans, leur musique est toujours aussi vivante.